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La mouche de M. Duras

Duras écrit comme ça : Ça s’écrit. Ça s’écrit. Oui. D’abord hors de toi, loin de toi, puis en toi puis sur la page. Ça incarne. Même la mort, ça l’incarne. Tu dis tu, pas je. Le tu, c’est le ça. Le tu, c’est le tout-le-temps, le je, uniquement le présent. Immobile, répétitif, ennuyeux et prisonnier de lui-même. Le tu, c’est le ça qui s’écrit. Le ça qui incarne. Même la mort. Même l’être mort. Le je en est incapable. Le je est incapable de corriger ça qui s’est écrit. Parce que le je est désespérément vivant. Le ça, seulement voyant. Pas devin, non. Voyant. Cyclope dénué de membres et de voix. Ça s’écrit. Les cris, les plaintes, le flic-flac des dernières gouttes d’eau… Le dernier souffle. Celui-là que le je ne cesse d’imaginer, que le je n’admet pas, attendant qu’un autre souffle vienne après lui, puis un autre puis un autre encore. Le je écrit ça. Mais ça ne fait pas littérature. Ce que le je écrit ne fait jamais littérature. Ça fait autre chose. 
Autre chose. La mouche se mourant sur le mur blanc de la maison de Duras. Tu ressens à travers ta chair la souffrance de la mouche que Duras ressent également alors qu’elle observe son agonie. Duras qui écrit à ce propos : Ça ne s’écrit pas. Cependant, elle sait l’heure de la mort de l’insecte. Elle la retient. Longtemps. Jusqu’au jour de sa propre fin, peut-être. Elle dit à une amie venue lui rendre visite : Aujourd’hui une mouche est morte. Aussi elle lui donne l’heure exacte de ce trépas. L’amie est prise d’un fou rire qui n’en finit pas. L’heure dernière d’une mouche ça ne s’écrit pas. Le rire stupide d’une amie, si. Toi tu voudrais connaître cette heure. Tu voudrais que ça puisse s’écrire. Mais ça ne se peut pas. Ça ne veut pas s’écrire. Pas comme ça. 
Ça s’écrit, la mouche et Duras mortes toutes les deux à présent, unies par un savoir commun, l’une à l'intérieur de l’autre, toutes les deux d'importance égale à l'intérieur de toi ? Probablement que non. 

5 commentaires sur “La mouche de M. Duras

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  1. Je crois que c’est vraiment le « ça » psychanalytique qu’il faut entendre chez Duras…Ce n’est pas un hasard si Lacan lui a rendu hommage à propos de Lol.V.Stein et le ravissement ( j’aime ce mot depuis toujours) me semble davantage la perte d’un soi dans l’écriture que le ravissement-plaisir…

    Belle soirée Gabrielle

    Aimé par 2 personnes

    1. Oui, souvent une écriture tendue, d’une grande modernité et d’une grande liberté quant à sa façon de travailler les mots, la phrase. Tout chez elle est écriture.
      J’ignorais l’entrée de son œuvre à la Pléiade. Effectivement, ça doit être un véritable ravissement.
      Je te souhaite une bonne Saint-Sylvestre et tous mes vœux de réussite pour tes projets littéraires en cours.

      Aimé par 1 personne

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