seulement cette fois la voix s'entend la voix s'étend se laisse saisir laisse dans la bouche qui l'accueille le goût de l'autre à peine vue et toute une vie passe avec sur la langue l'encre de sa salive le sel de sa peau au devant de nous nos ombres courent et seulement cette fois nos corps à l'arrière en repos
L’enroulement du silence

je ne sais plus rien je n’entends plus rien sur ma peau ma peau nue ça tombe comme une pluie acide derrière derrière pas même craintive mon âme qui attend d’être cinglée par les averses drues des salives qui auront troué ma peau ©Leonor Fini, "Enroulement du silence", 1955, huile sur toile.
C’est

Ce n’est pas de vouloir
ce n’est pas ça
c’est de ne pas pouvoir
ne pas le vouloir
cet amour-là
et que cela soit pouvoir
et décide de tout
et combatte tout ce qui s’oppose
à cette force-là
et te combatte toi
surtout toi
accoutumée à ne pas pouvoir
souvent qui restes là
te nourris de patience
amaigrie par cette nourriture-là
qui croît dans l’air expiré
de tes souffles d’impatience
ce n’est pas de vouloir
ce n’est pas choisi
c’est là
c’est venu là
et cela ne bouge plus
oui cela remue
mais cela ne bouge plus
tu n’attends pas
tu ne te souviens plus de l’attente
presque plus de la faim
le fruit là
juste là
qui croît dans l’air expiré
des souffles incontrôlés
Séraphine Louis, "Orange et trois quartiers d’orange", vers 1915, ©Musées de Senlis.
Les draps lisses

qu’est-ce c’est ? qu’est-ce qui danse sur la mer ? le vent là renverse ciel et mer mais toujours la mer retombe toujours le ciel refuse le renversement et tout ce qui lui vient du vent qu’est-ce qui danse sur la mer ? de la chambre tu vois – qu’est-ce que c’est ? – que ça danse ça danse sur la mer froissée par le vent froissé et sur les draps non les draps lisses lisses tu les as secoués au-dehors depuis sur la mer ça danse qu’est-ce que c’est ? qu’est-ce qui danse ? Alison Watt, "Orion", 2014, huile sur toile, 122 x 122 cm, © Alison Watt
En fusil

tu parlais durant l’ancien sommeil tu disais des absurdités des absurdités tu ne dors plus de lui pas encore de l’autre déjà ça ne fait plus aucun bruit ça ne raidit plus ta colonne tu te demandes depuis quand c’était la guerre depuis quand j’étais braquée il te tarde le chien de fusil sur les draps du vrai sommeil Alison Watt, "Source III", 1995, huile sur toile. © Alison Watt
Silence de plage

Elle ne regarde pas la mer tous ils la regardent tous ils rêvent de ces rêves vides qu’on fait devant la mer qui fait toujours ça de vider les têtes elle est debout devant la mer les mains couvrant ses seins nus elle dit de trop petites mains de trop petits seins elle n’attend rien d’être là elle ne sait plus comment elle est venue elle ne sait pas si elle pourra partir à la place elle dit je ne sais pas si je pourrais quitter elle a les yeux fermés face à la mer tous ils ont les yeux ouverts grands ouverts tous ils regardent la saison faire tomber dans la mer ses lumières de saison son roulis de saison leurs bouches aussi sont ouvertes comme s’il en sortait des mots pour dire mais ils ne disent rien sauf des fois ils disent ne va pas plus loin que le bord reste là où je te vois elle ne regarde pas la mer peut-être elle ne sait pas que la mer est là elle n’entend pas non plus les bruits ni de la mer ni de la ville derrière elle ni des oiseaux de mer et les gosses tous les gosses qui crient en entrant dans l’eau plus froide que l’air plus froide que leur peau elle ne regarde pas la mer elle a les yeux fermés elle dit peut-être que je suis regardée elle rit pour se moquer d’elle-même elle dit reste là où je peux te voir Deidi von Schaewen, "Reflections Biarritz", 2011. © Deidi von Schaewen.
Passer, sans vivre.

à présent tu vivras ainsi avec dans le ventre le corps d’un amour dont tu es l’ennemie pas même l’ennemie avec dans le ventre une brûlure de désir pour ce corps d’amour dont tu ne sauras jamais ce que tu sais pourtant ©Kiki Smith, "Come Away from Her", 2003, taille-douce avec aquarelle appliquée à la main. ©Brooklyn Museum.
Si d’hiver

Aux aubes qui étreignent l’amour dans son linceul sans pâlir devant lui si d’été si d’hiver aux aubes toujours venant bien qu’on nie leur venue en vénérant la nuit la mémoire de la nuit le noir de la nuit où l’amour s’est perdu aux aubes toujours belles quand rien ne peut plus l’être si d’été si d’hiver aux aubes nous menant plus loin dans les journées toujours nous rabattant vers les heures du chagrin Émilie Charmy, "Sans titre", 1940, huile sur carton. ©Estate Émilie Charmy.
Poussière

enjamber les heures les dates se mettre en retrait à côté le plus loin possible d’elles se mettre où elles ne sont pas où on ne les entendra pas passer les devancer les oublier les effacer des horloges des calendriers oublier que le temps ce n’est pas du temps c’est de la salive prise dans une autre bouche c’est un rai de lumière qui traverse une chambre de la poussière qui danse des places de concert pliées dans une veste enjamber les heures les dates oublier que le temps ce n’est rien que du temps quand il est gâché impossible impossible Erzsébet Korb, "Nude Reclining", 1922, fusain sur papier. ©Hungarian National Gallery.