
Elle soupire.
— Je ne comprends pas qui est à ma place.
"Je ne fais pas partie du mouvement de la rue, puisque je le contemple." Virginia Woolf
Elle soupire.
— Je ne comprends pas qui est à ma place.
ce mot-trou mangeur de paroles il attire tous les autres mots dans son gouffre les bien dits les mal dits les retenus oui les retenus ce mot-trou dans lequel ne trébuche pas celle-là pourtant pressée pressée à juste titre d’arriver au tout début pas de mot pour le dire ce début flamboyant premier jour travesti en dernier par les fomenteurs de victoires défectueuses ce mot-trou fournissant la matière de ton écriture irraisonnable et de ces livres souterrains que tu lis comme ça penchée au-dessus du gouffre jugé par tous dangereux et c’est tout le contraire la chute c’était avant lui sur le plat sans mouvements pour la parer tes jambes et tes bras savais-tu qu’ils pouvaient faire ça pour toi ? non tu ne le savais pas tous ces mots comme mouches qui bloquaient ta vision qui te piquaient le corps jusqu’à l’insensibilité
Duras écrit comme ça : Ça s’écrit. Ça s’écrit. Oui. D’abord hors de toi, loin de toi, puis en toi puis sur la page. Ça incarne. Même la mort, ça l’incarne. Tu dis tu, pas je. Le tu, c’est le ça. Le tu, c’est le tout-le-temps, le je, uniquement le présent. Immobile, répétitif, ennuyeux et prisonnier de lui-même. Le tu, c’est le ça qui s’écrit. Le ça qui incarne. Même la mort. Même l’être mort. Le je en est incapable. Le je est incapable de corriger ça qui s’est écrit. Parce que le je est désespérément vivant. Le ça, seulement voyant. Pas devin, non. Voyant. Cyclope dénué de membres et de voix. Ça s’écrit. Les cris, les plaintes, le flic-flac des dernières gouttes d’eau… Le dernier souffle. Celui-là que le je ne cesse d’imaginer, que le je n’admet pas, attendant qu’un autre souffle vienne après lui, puis un autre puis un autre encore. Le je écrit ça. Mais ça ne fait pas littérature. Ce que le je écrit ne fait jamais littérature. Ça fait autre chose. Autre chose. La mouche se mourant sur le mur blanc de la maison de Duras. Tu ressens à travers ta chair la souffrance de la mouche que Duras ressent également alors qu’elle observe son agonie. Duras qui écrit à ce propos : Ça ne s’écrit pas. Cependant, elle sait l’heure de la mort de l’insecte. Elle la retient. Longtemps. Jusqu’au jour de sa propre fin, peut-être. Elle dit à une amie venue lui rendre visite : Aujourd’hui une mouche est morte. Aussi elle lui donne l’heure exacte de ce trépas. L’amie est prise d’un fou rire qui n’en finit pas. L’heure dernière d’une mouche ça ne s’écrit pas. Le rire stupide d’une amie, si. Toi tu voudrais connaître cette heure. Tu voudrais que ça puisse s’écrire. Mais ça ne se peut pas. Ça ne veut pas s’écrire. Pas comme ça. Ça s’écrit, la mouche et Duras mortes toutes les deux à présent, unies par un savoir commun, l’une à l'intérieur de l’autre, toutes les deux d'importance égale à l'intérieur de toi ? Probablement que non.