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Carnet d’écriture, 7 décembre 2022.

©Anne-Marie Jugnet
Est-ce elle qui reviendra, ou bien moi ? Dois-je m’asseoir et l’attendre ? Et ce café, là, est-il bien celui-là que je bois ?  N’est-ce pas un café plus ancien ? Quand je dis : ce café, là, je dis bien autre chose. Il faut du chaud. Fumer et boire. C’est ce que je me dis. Il lui faut du chaud. Pour la faire revenir. Pour la faire descendre au bout de mes doigts. Il lui faut du silence. Mais ça, je sais que c’est faux. Le silence n’existe pas en moi. Combien de temps a-t-il vécu là ? Il lui faut du chaud, à ce corps vieillissant. Combien de temps ? Le silence, on le voit tous mourir. Cela s’entend, cela se voit. Je suis encore une enfant, jambes écartées dans une cour, je l’entends, je le vois chuter. Commencement et fin se confondent. L’écriture vient. Qui le ramasse ? L’écriture vient. Personne ne le ramasse. Ce n’est pas un être, ce n’est pas une chose. Je le regarde, moi. Je le vois. Le premier trou dans le cœur. La première fois que je me sais un cœur. Que je me sais faite de bruit. L’écriture vient. 
…
Ce silence, là, dans ma pièce d’écriture, est un fantôme, je le sais. Une pensée résistante. Un souvenir d’enfant qui joue à la balle au prisonnier. Plus personne ne joue à la balle au prisonnier. Elle vient mal, malhabile. Elle se défend. Elle protège son fantôme. Elle ne veut pas revenir. Elle a peur. De revenir. Peur de remuer les os du silence et que cela s’entende. Que cela se sache qu’elle l’a gardé près d’elle tout ce temps. Tout ce temps. 


Anne Marie Jugnet, "Loin de tout", 1989, photographie argentique noir et blanc, 120 x 150 cm, ©Anne Marie Jugnet.

Carnet d’écriture, 29 septembre 2022

Ce que tu écris en marchant, c’est ce que tu écris de mieux. Ce que tu écris dans l’air et qui se perd derrière toi. Pensées ordonnées. Images splendides. Rentrant, tu t’assois, tu écris ce dont tu te souviens. Ça ne vient pas pareil. Tu poses le peu qu’il te reste, comme on vide ses poches des cailloux, des coquillages et des écorces ramassés. Dans le fond de ta poche, de la terre ou du sable. Des grains qu’on fait rouler sous ses doigts. Le peu qu’il te reste. C’est cela l’écriture. Le peu qu’il te reste. De l’immense discours. C’est cela qui s’écrit. Ce que tu as cru tenir, ce que tu as cru posséder, dans ce transport. Ça ne t’est pas destiné. Pas dans son entièreté. Pas si sûrement. Quand tu marches, tu perces la peau, l’os du monde. Quand tu écris, tu cherches le souvenir d’un corps aimé absent. 

Carnet d’écriture, 17 juin 2022

Écrire, c’est aller. Aller ici, là. Aller bien, mal. C’est marcher. Marcher vers, marcher un peu, longtemps. Aussi, marcher loin de ce qui s’écrit. Accomplir cette impossibilité. S’éloigner de ce qui s’écrit. Rester fixe, avant, après. Mais ça n’arrive jamais. Avant, après, ça n’existe pas. Quand tu écris, tout se situe pendant. Tout est mobile. Tu vas toujours. Bien, mal, ici ou là. États, lieux. Tu traverses, tu arpentes. La fatigue, souvent. Les organes, les membres. La tête. Tu songes à un repos bien mérité. Tu dis, ma tête, ma pauvre tête. Mais tu vas toujours. Où vas-tu ? Comment vas-tu ? En vérité, tu ne peux pas le savoir. Oui, tu peux, mais tu ne veux pas le savoir. Il ne faut pas. Pour aller, il ne faut pas. Pour aller. Pour marcher. Pour écrire. 

Carnet d’écriture, 13 juin 2022

Il n’y a pas d’histoire entre vous. Des mots. Beaucoup de mots. Des phrases. Toutes sortes de phrases. Couvrant en partie le spectre d’une histoire. Le temps que tu utilises ici compte. Il n’y a pas eu d’histoire. La conjugaison compte toujours. Généralement, elle fait la structure de l’histoire. Elle déplace les personnages dans un ou plusieurs temps donnés. Entre vous, il n’y a qu’un seul temps. Tu n’arrives pas à savoir lequel. Puisqu’il n’y a pas eu d’histoire. Fallait-il qu’il y en ait une ? Oui, il le fallait. C’est une des conditions de l’existence. Ou peut-être pas, après tout. Peut-être seulement une condition de l’écriture. Peut-être que vos écrits ont fait histoire. Tu sais bien que non. Tu sens que non. Vos écrits ont dissous l’histoire. Ils l’ont rendu illisible. Ils ne vous ont pas fixées dans le temps logique. Vos écrits étaient comme premier jet. Ou pire, comme notes préparatoires. Pas assez de matière, ou trop de matière. Dans les deux cas, impossible de voir l’autre dans sa vérité.
Il n’y a pas eu d’histoire entre vous. Il n’y a eu que des écrits. 
Oui, peut-être, peut-être pas, sur une feuille, quelque part, la fin. 

Carnet d’écriture, 11 juin 2022 (Notes à fonds perdus)

Non, ce n’est pas comme aimer. Écrire ce n’est pas inventer. Aimer, oui, c’est inventer. C’est  former croyance à partir de son propre esprit. Et du peu que l’on saisit de l’autre.

Quelquefois, écrire, c’est pallier à la solitude paradoxale de l’état amoureux.

En amour, la fin souvent s’écrit dès le début. À notre insu. Oui et non. En écriture, la fin se fait parfois attendre. Ou bien, elle n’est pas celle attendue. On ne la décide pas. Elle vient. Elle s’impose. Comme unique résultat possible d’une équation.

Le soulagement de la fin en écriture ! La vue panoramique. L’histoire complète. Bouclée. Comprise. Dans laquelle on peut se replonger. En oubliant la fin. En l’évitant. Cette fin qui dorénavant peut tout aussi bien être début. Cette fin qui nous sauve. Qui empêche l’errance de la croyance.

Oui, aimer, c’est croire. C’est ignorer ce que nos yeux voient. Jusqu’où ils peuvent voir.
Écrire leur donne à voir. Les mots donnent à voir l’infini dans son ensemble. Cet infini n’est que brièvement visible à l’amour en sa fin. Une fin véritable et totalement fausse.
Pas la même que lorsqu’on écrit. Celle-là qui est fausse et totalement vraie.

Jamais neuf, en vérité.

Tu le savais, parce que tu l’as écrit. Mais, écrire n’est pas lire. Et lire ce qu’on a écrit, ne nous donne pas à voir ce qui est écrit. Ça ne donne rien. De soi. Ça ne dit rien. De soi. Écrire nous en éloigne. Se lire, encore plus. Mais tu savais le danger de donner à lire. Inconsciemment, tu le savais.  Il y a transformation dans la transmission. L’autre voit. L’autre voit toujours, dans le livre, ce que tu n’y as pas vu. L’autre entend ce que tu n’as pas entendu. 

Écrire est un effacement. C’est ce que tu crois.

Ce que tu voudrais ? Que chaque phrase écrase quelque chose du réel. Ça ne fonctionne pas comme ça. Mais au contraire de ça. Chaque phrase fixe le réel. Définitivement. La fiction ? Qu’est-ce que c’est ? Tu savais le danger. Mais tu n’y as pas cru. Pour une fois, tu n’y as pas cru.

Tu n’as pas vu. Tu ne vois jamais. À croire que tes yeux n’ont aucune fonction. Que dire de ton esprit ? 

Un mauvais livre. Tu le sais parce que tu l’as écrit. C’est tout ce que tu peux en savoir. Ce n’est pas réfléchi. C’est ton instinct qui sait. Ta peau. Deux années de mauvaise encre. Et puis ça. Une simple pagination, allant ironiquement jusqu’au cent. Jusqu’au sans.

Tu savais le danger. Oui ou non ? Oui et non. Tu as mal jaugé. Le danger de l’autre qui voit. De l’autre qui lit pour voir. Qui t’a vu. Qui a cru aimer te voir. Et puis, non. Non. Parce que c’est impossible de t’aimer si on te voit. Aussi l’écriture tue celui qui écrit dans l’œil de celui qui lit. La tienne fait ça. Beaucoup le font. Et c’est normal. Sauf cette fois.

Sauf que cette fois, tu désirais qu’il se passe autre chose.

Maintenant, tu es nue. 
Maintenant que tu vis, que vas-tu faire de ça ?

Mandela, bien sûr.

Tu échoues à échouer. Ta main toujours s’impatiente. Elle a ce travail à faire. Ta main gauche. Ta tête toujours fourmille de ces insectes noirs qui descendent jusqu’à elle. Rends-toi ridicule, passe pour une girouette. Tant pis. Tu ne peux y échapper. Et ce n’est pas grave. Cet endroit d’enfermement n’a pas de mur, pas de porte. Tu n’as pas à t’en échapper. C’est ton endroit. Ton en-droit. Tout le reste, oui peut-être une prison. Mais le reste, qu’est-ce que c’est quand tu écris ? Rien. Rien qui étrangle ou oppresse. Rien qui surveille. Quand tu écris, tu vis. 
Tu échoues à échouer. Ça te brûle, ça te tord le ventre. C’est un désir puissant. Passe pour une girouette, tant pis. Une a raison. Écris ! Va écrire. Ce n’est pas un coup à parer. Ta main le sait. Sa voix brutale, c’est une caresse. Des dates pointées sur le calendrier. Sur chaque page du calendrier. Va écrire ! 
Tu es de l’océan. Tu iras et tu viendras invariablement. Au gré du temps. Les vagues douces ou cinglantes. 
Tu échoues à échouer. Depuis toujours. Il y a une constance dans cette inconstance. Un message. Seulement, ce qui s’écrit en toi malgré toi, tu ne l’as jamais entendu. Aujourd’hui, tu écoutes. 
Passe pour une girouette, tant pis. 
Tu écoutes. 
Tu penses à Mandela, bien sûr. Un simple nom offert à ton esprit par Une autre. Une clé qui déverrouille les portes que tu as refermées derrière toi. Elles ne sont faites que d’air. Ou bien n’ont jamais existé.

Fin d’écriture

Tu le sais, il ne faut pas écrire dans cet état. Ni même écrire cet état. Il ne faut pas parler de ça. Qu’aucun mot ne serve à ça. Qu’aucun œil ne se pose là-dessus. Il faut attendre. Non ça ne va pas passer. Rien de ce genre ne passe. C’est de nature sédentaire. Mais toi, oui, tu vas passer. À côté, à travers. Tenter un contournement. Sans regarder. Pas besoin de regarder. Tu sais ce que c’est, ce que ça fait. Ça tord, ça pince, ça donne de petits coups, pas forts non, constants. Des petits coups constants. Comment atteindre cet état pour les faire cesser ? Il est vaste, bien trop vaste. Il n’a pas d’« autour ». 
Cet état, il y a si peu à en dire. Si peu à en dire. C’est pauvre, maigre. Ça erre à l’intérieur de ton être. Ça pousse tes organes dans le coin le moins aéré afin d’agrandir son périmètre d’anéantissement. Ça te fait suffoquer. Ça ne s’écrit pas, la suffocation. L’asphyxie. La phrase ne survit pas sans air, sans lumière. 
Il ne faut pas écrire dans cet état. Il ne faut pas écrire cet état. Tu tournes autour, mais tu l’as dit, ça n’a pas d’« autour ». Cet état, c’est le vide de chaque côté de la page. Un pied dedans, et c’est fini. C’est fini. 

Daemon

Tu ne peux plus les lire. Ni même les regarder. Les textes finis. Tu as peur. Non pas d’eux, mais de toi. Eux, se sont défaits de toi. Facilement. Toi, malgré tes craintes, tu ne te défais de rien. Écrirais-tu si tu le pouvais ? Bien sûr que oui. Mais tu préfères croire que non. Aucun questionnement derrière cette négation. Une simple absurdité. Tu ne te débarrasses de rien, c’est tout. Seulement tu n’as aucune affection envers ce que tu conserves. Même, une sorte d’aversion. 

Tu ne te relis pas. Tu ne relies rien.

Ce que tu conserves n’est pas le souvenir de ce que tu as écrit, mais le souvenir pénétrant de ce que tu n’as pas écrit. Durant ce temps-là. Le livre derrière le livre. L’autre histoire. Dans cet espace-là. Ta chambre d’écriture. Logis de ta folie – douce. S’asseoir dans ce lieu et écrire, ça ne marche pas comme ça. Ton démon détourne souvent ton regard vers les blancs de tes anciens textes. Il ne s’agit pas tant de commencer que de poursuivre, il te dit. Maudit soit-il de toujours te renvoyer à la cime de ton être ! Il le sait, tu y respires à peine. Il n’en a cure. Il dit comme ça : Tu vas y arriver. Il dit : Ne t’encombre pas trop. Mais ça, c’est une plaisanterie. Il dit : Tu te blottiras, à la nuit, dans la panse encore chaude de l’animal tout juste éventré par tes soins. Tu émettras, au jour, des grognements comme l’animal. Il dit : Des signes noirs envahiront ton esprit. S’aligneront à l’horizontal. Au sens littéral : en direction de l’horizon. Parlant, il tend son index déformé de vieillard devant lui. Il sait que tu sais qu’il ne t’indique pas la bonne direction. Pas plus que la mauvaise. 

Archive des riens

Ton démon. Il beugle : Pauvre geignarde ! Triste figure ! N’as-tu donc pas fini de te lamenter ? Regarde, ta main, à peine légitime à accomplir cet acte, tremble avant d’écrire. Pourtant, tu rechignes à m’extirper des profondeurs. Tu refuses mon aide. Tu me penses fait d’ombre. Mais tu te trompes. Pas d’ombre sans lumière. J’aime la clarté, dis-tu, et contempler à cru le dessin de mes rides et plaies. Je crains les artifices. Mais moi, objecte ton démon, je n’y recours pas. Je te montre les creux, les failles, les taches, les cicatrices. De tout, je fais matière d’écriture. Et toi que fais-tu de tout cela ? Rien, tu n’en fais rien. Oui, tu cajoles tes tragédies. Bien conservées dans le vinaigre de ton amertume. Baignant dans un alcool qui préserve leur pouvoir. Tu les immortalises, pauvre idiote, cependant qu’elles te tuent. Tu écris en compagnie de leur bocal, tournant autour de ce pot, avec ta main qui tremble sauf quand elle caviarde les phrases dures, brutales et frontales. 
Le véritable objet de tes tourments, sais-tu seulement ce qu’il est ? Non, tu ne le sais pas. Moi si, je suis ton démon. Je l’ai vu s’installer en toi, cet objet, avant tes premiers pas, tes premières paroles. Tu veux que je te dise ? Ce n’est rien de plus qu’un vide. Un organe vide ? Si ça peut te faire plaisir. Un organe vide irrigué par ton sentiment d’incomplétude qu’engendre son inutilité.
Un conseil, ma chère amie, défais-toi de ce qui est perdu et de ce que tu ne peux pas nommer. Ça ne fait pas une vie, ça ne fait pas un livre. Ça fait mal, c'est tout. 


*nos petites habitudes
vilaines, serpentines
auxquelles on s’accroche
pensant se reconnaître

le mot pensant pèse lourd ici

nos petites servitudes
jusqu’à celle de se vouloir libre
enfin, dit l’ombre
je t’aime, pas toi?

et le mot croire, là

Dansons veux-tu
ou comme dirait l’autre –
danse-moi jusqu’à…
dance me to the end of love…



*Texte de Caroline Dufour
https://carolinedufour.com/

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