©Anne-Marie Jugnet
Est-ce elle qui reviendra, ou bien moi ? Dois-je m’asseoir et l’attendre ? Et ce café, là, est-il bien celui-là que je bois ? N’est-ce pas un café plus ancien ? Quand je dis : ce café, là, je dis bien autre chose. Il faut du chaud. Fumer et boire. C’est ce que je me dis. Il lui faut du chaud. Pour la faire revenir. Pour la faire descendre au bout de mes doigts. Il lui faut du silence. Mais ça, je sais que c’est faux. Le silence n’existe pas en moi. Combien de temps a-t-il vécu là ? Il lui faut du chaud, à ce corps vieillissant. Combien de temps ? Le silence, on le voit tous mourir. Cela s’entend, cela se voit. Je suis encore une enfant, jambes écartées dans une cour, je l’entends, je le vois chuter. Commencement et fin se confondent. L’écriture vient. Qui le ramasse ? L’écriture vient. Personne ne le ramasse. Ce n’est pas un être, ce n’est pas une chose. Je le regarde, moi. Je le vois. Le premier trou dans le cœur. La première fois que je me sais un cœur. Que je me sais faite de bruit. L’écriture vient.
…
Ce silence, là, dans ma pièce d’écriture, est un fantôme, je le sais. Une pensée résistante. Un souvenir d’enfant qui joue à la balle au prisonnier. Plus personne ne joue à la balle au prisonnier. Elle vient mal, malhabile. Elle se défend. Elle protège son fantôme. Elle ne veut pas revenir. Elle a peur. De revenir. Peur de remuer les os du silence et que cela s’entende. Que cela se sache qu’elle l’a gardé près d’elle tout ce temps. Tout ce temps.
Anne Marie Jugnet , "Loin de tout", 1989, photographie argentique noir et blanc, 120 x 150 cm, ©Anne Marie Jugnet.
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Très beau et émouvant
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Merci, Joël.
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La balle au prisonnier Marelle et le jeu de barre Où l’on réactive l’enfance de l’Art
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Ah l’art de l’enfance ! Merci Jean-Jacques.
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L’enfant ne vieillit jamais à l’intérieur d’un être. Il est là, il se souvient de tout ou….presque.
Quand j’ai écris « A toi l’enfant » c’était pour me reconnecter à lui tout en m’en éloignant avec bienveillance.
Merci pour ce texte évoquant ta propre enfance, cette cour d’école que chacun a connu à sa manière.
Bien à toi,
Alan
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Merci pour cette réflexion si juste sur l’enfance. À la fois morte et si vive.
Bonne journée, Alan.
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Ah, quelle beauté… ça me fait penser à la Chanson de l’enfance de Peter Handke dans « Les ailes du désir », Als das Kind Kind war…
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Un film inoubliable…
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