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Le sang blanc du moment

©Joan Mitchell
cette minute
durant laquelle
on ne s’inquiète plus de rien
comme elle semble éternelle
dans la clarté soudaine
comme elle semble douce
entre le pire qui vient d’arriver
la crainte qu’il demeure
mais ce n’est rien
l’amour enveloppe tout le malheur
cela s’est dit dans les olympes

et la chair de l’amour est dure
aussi dure qu’est tendre
la chair éprise de nos rêves
celle-là qui a fait 
des chemins de nos mains
des livres de nos lèvres
des cœurs de nos rancœurs

cette minute
durant laquelle
toute vie devient vie
comme elle semble douce
dans son éternité brève
sa brièveté éternelle


©Joan Mitchell, "Merci", 1992, peinture sur toile, diptyque. ©Joan Mitchell Foundation, New York.

Sur cour

©Gabrielle Segal
Tu auras froid, si je ne te parle pas d’amour. Tu marcheras plus loin, plus vite, avec tes yeux qui laisseront passer le froid. Sans toi, j’aurai mal, partout où tu te fais mal. Tu auras froid, si je ne te parle pas d’amour. À cause de ces maudites fenêtres, ouvertes sur la cour de nuit comme de jour, et leurs paupières gonflées par les intempéries d’au moins mille saisons. Tout le chaud s’enfuyait par là. Tout le froid demeurait. Tu remarques mon emploi d’un temps passé ? Je te parle, je te parle. Tu auras froid, si je ne te parle pas d’amour. Je te dis des choses idiotes que tu ne comprendras pas, tant la poésie en est absente. Je te dis : Si l’arbre donnait l’oiseau, il n’y aurait pas de peau mâchée, il n’y aurait pas d’os en compote. Je réponds à une question que tu n’as pas posée : Bien sûr que tu as touché des os d’oiseau, puisque tu m’as caressée. 


Photo ©Gabrielle Segal, "Nantes, 11 Septembre 2022, 14h42".

Une promesse lente

©Wanda Mihuleac
Tu dis Je veux être éternelle
parce que la beauté est éternelle
tu dis Le temps peut bien se saper à vouloir la saper
tu dis Ah qu’il tombe en miettes bonnes pour les moineaux
Je ne bougerai pas d’ici
pour la beauté qui porte parfois des ailes
et se nourrit de miettes
tu dis Je ne bougerai pas d’ici
tu dis Je mourrai
évidemment je mourrai
un jour comme on en a tant vu
brisé en deux par le milieu
par nous tous voyants
qui n’attendons que ça
la marque de la nuit 
la faille qui se traverse
toute peur hissée
les yeux fermés enfin
tout le cœur hérissé
les yeux fermés enfin
tu dis La beauté sait de sa solitude
tout ce qu’il faut en savoir
c’est une certitude
tu dis Alors l’éphémère 
sans doute n’existe pas 
nous l’ignorons encore



©Wanda Mihuleac, "Ombre", 1974, poème tautologique, photographie.

Par les mains de l’île

©Rosa Bonheur
les blancs 
les bleus
les ocres

ce que veulent tes mains
au tout dernier moment
de quoi tenir l’hiver

rêves et vérités
pierres brûlées et brûlantes
figues fendues en deux
par les doigts de la Poétesse
souffles et suées et ruades
du cheval de bronze

quand tu auras cela
partir ne sera pas quitter
partir sera aller
de ce lieu que tu laisses
vers ce même lieu

ce que veulent mes mains
au tout dernier moment
de quoi tenir l’hiver
le voyage retour


Rosa Bonheur, "Two horses", huile sur toile, 1889, ©National Gallery of Greece.

Le chien

©Rosa Bonheur
tu voudrais savoir
que tu ne sauras jamais
rien
tu voudrais en être sûre
rien du temps de l’amour
tu aimerais aimer
sans connaître la part
que va te ravir le temps
ne pas voir
ne pas entendre
sa façon brutale
de te la prendre

tu voudrais que ça dure
mais bien sûr
ce désir
c’est le temps qui le tient
entre ses canines

déjà tu vois
tu sais
ta façon brutale
pour le lui reprendre



Rosa Bonheur "Barbaro après la chasse",  1858, huile sur toile  © Philadelphia Museum of Art.

Étude de nu

Vanessa Bell
parfois le temps fait ça
il dépose sur la peau
en une seule fois
toutes les années mortes

ce que la peau dit alors
de la douleur
n’est pas la douleur
ce qu’elle dit de l’amour
n’est pas l’amour

la peau n’est plus du corps
elle est de la mémoire

ce qu’elle dit 
du temps passé
n’est pas le passé
pas non plus le présent
ce qu’elle dit du temps
ce n’est pas le temps

c’est ce qu’il oublie

alors la peau fait ça
elle prend ce qu’elle doit prendre
en dehors de lui



Vanessa Bell, "Nude with Poppies", 1916, huile sur toile. Swindon Museum and Art Gallery. © Estate Vanessa Bell.

Cinglée par la vitesse du temps

©Claude Cahun – Marcel Moore
c’est étrange cette tristesse
qui naît de ton désir

c’est étrange cette phrase entourée de tout ce blanc
glacial
comme un feu maigre qui ne réchauffe pas
mais rappelle la chaleur
vivre ainsi dans le souvenir de la flamme
pourrait t’aller
seulement ce n’est pas un souvenir
c’est une attente

l’attente une lame passée au feu
qui d’une masse informe fait un corps
brûlant à l’endroit de ses blessures
essentielles blessures 

la tristesse coule de tes yeux
d’entre tes cuisses
au fond de ta gorge
le sel toujours mêlé à l’eau
pour que l’eau existe peut-être
pour que les lèvres y reviennent
assoiffées 
toujours assoiffées après avoir bu

cette tristesse
comme une prémonition
que la solitude approche
qu’elle vient pour toi
et toi seule

tu la vois
à travers les plaies qui te permettent d’y voir
elle piétine les feux résistants



Photographie © Claude Cahun-et Marcel Moore "Aveux non avenus" planche III, photomontage. 

Chant XIV

Une histoire de traces. Comme dans une forêt blanche.
L’immaculé du temps et tout le bleu de l’ombre au beau milieu du jour.*

tu es partie

à chacun de tes pas réflectifs
la matière-miroir de ta peau
a imprimé en toi part de toute chose
gestes animalesques de tout être

course
nage
vol
mouvements disant mieux que paroles
ça tu l’aurais juré
l’involontaire suicide
closant tes amours saccagées

tu es restée

la matière-miroir de ta peau a masqué ton visage
avec figures anciennes 
et figures de passage
aimantes ou non
tu n’as pas su le dire

tu n’as pas su aller

le temps ?
il t’a aimée
il t’a aimée
et puis tu l’as déçu


*Caroline Dufour

Chant V

Le temps      là
 laissé par tous
 qui s'en défont
 comme mot déprécié
 toujours au même lieu
 vient Lui tourner autour 
 cherche  lèvres
 cherche langue gorge 
 cordes  arbre bronchique
 cherche souffle son 
 instruments de la voix
 cherche à former syllabes
 si empressé de dire
 de médire 
 de maudire
 ha !  de prédire
 le temps      là 
 finalement perdu 
 va vient
 vacille
 fouraille dans la terre
 cherche raison
 cherche commencement
 fouraille dans les chairs
 cherche alliés
 cherche ennemis
 mais qui sont les uns
 mais qui sont les autres
 Le temps      là
 quand il La regarde
 jour après jour après jour après jour
 toujours frissonne
 Elle
 quand Elle le Regarde
 Ne Sait pas ce qu'Elle Voit


©Encre sur papier de Corinne Freygefond. Sans titre #5, 2020.

Cinglés

Là devant nos yeux
La force déversée
D'une pluie cinglante qui ne s'arrêtera plus
Qui refuse de mourir
Ou qui ne le peut pas
Qui ne le peut plus
Comme si le mouvement
Inlassablement répété
De ses éléments
Nés à distance infinie de nos esprits
S’évertuait à marteler le lieu de notre présent
Dont on se moque bien
Préférant depuis toujours et pour toujours
Regarder loin devant regarder loin derrière
Revenant dans le jour seulement
Pour y laisser notre dépouille

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