La poule noire de la nuit vient encore de pondre une aurore. Salut le blanc, salut le jaune, Salut, germe qu’on ne voit pas. Seigneur Midi, roi d’un instant au haut du jour frappe le gong. Salut à l’œil, salut aux dents, Salut au masque dévorant, toujours ! Sur les coussins de l’horizon, Le fruit rouge du souvenir. Salut, soleil qui sait mourir, Salut, brûleur de nos souillures. Mais en silence je salue la grande Minuit, Celle qui veille quand les trois s’agitent. Fermant les yeux je la vois sans rien voir par-delà les ténèbres, Fermant l’oreille j’entends son pas qui ne s’éloigne pas. René Daumal, in Poésie noire, poésie blanche , 1952, Gallimard.
Patti Smith. Animaux sauvages

Est-ce que les animaux crient comme les humains
quand leurs êtres aimés chancellent
pris au piège emportés par l’aval
de la rivière aux veines bleues
Est-ce que la femelle hurle
mimant le loup dans la douleur
est-ce que les lys trompettent le chiot
qu’on écorche dans l’écheveau de sa chair
Est-ce que les animaux crient comme les humains
comme t’ayant perdu
j’ai hurlé j’ai flanché
m’enroulant sur moi-même
Car c’est ainsi
que nous cognons le glacier
pieds nus mains vides
humains à peine
Négociant une sauvagerie
qui nous reste à apprendre
là où s’est arrêté le temps
là où il nous manque pour avancer
Patti Smith, Présages d’innocence, Christian Bourgois éditeur. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacques Darras.