
Elle se penche à la portière. Une pure fille de Harlem. 15 ou 16 ans. Bizarrement clean. De la tête, il lui fait signe de monter. Durant le trajet jusqu’à l’hôtel, elle parle vulgairement pour se donner confiance et mâche du chewing-gum comme une putain de cinéma.
Le boxeur ne la touchera pas. D’autres s’en chargeront. C’est à regretter, mais que peut-il y faire ? Bon sang ! que peut-il y faire ? Dans la chambre, il lui dit : Je veux juste rester là un moment. Elle s’y connaît en tordus, alors elle insiste. D’ordinaire, ces types-là, ce qui les fait bander, c’est qu’elle leur lise tout le menu. De l’entrée au dessert. Mais c’est non, toujours non. Je veux juste rester là. De guerre lasse, elle hausse les épaules et va se planter près de la fenêtre où elle fume des cigarettes pour se donner une contenance et parce qu’elle a peur. La lumière orangée d’un néon publicitaire projette sur sa peau des reflets de métal précieux. Une statue d’or. Allongé sur le lit, le Portoricain rêvasse. On pourrait croire qu’il a oublié sa présence si toutes les demi-heures il ne posait pas un billet de vingt dollars sur la table de chevet. Elle songe : Ce mec est un ange. Voilà ce qu’il est. Les traits de son visage s’adoucissent lentement jusqu’à redevenir enfantins.
La lumière terne de l’aube entre dans la pièce, et ôte, peu à peu, la matière aurifère du corps de la fille qui s’est endormie près du boxeur. Celui-ci prend le large sans mot dire en même temps que l’enchantement.
Quand on la retrouve, trois jours plus tard, dans une benne de l’avenue C, on pense d’abord à un suicide, à cause du mot retrouvé dans sa poche. Que pouvais-je faire d’autre ?
New York, 1989.