Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer

Tabula rasa

tu voudrais que tes yeux redeviennent des yeux 
tes mains des mains

n’être pas plus que nuage
mais pas moins


tu voudrais qu’elle existe
la page blanche
la page immaculée

et dessus ne rien écrire

que ce besoin d’écrire ne te soit même jamais venu

la laisser comme ça
la lire comme ça

libérée des sentences tardives
de tes beaux mensonges réanimateurs

de tes vains combats 
de résistance poétique

blanche comme drapeaux
des nations sans traumatismes

Daemon

Tu ne peux plus les lire. Ni même les regarder. Les textes finis. Tu as peur. Non pas d’eux, mais de toi. Eux, se sont défaits de toi. Facilement. Toi, malgré tes craintes, tu ne te défais de rien. Écrirais-tu si tu le pouvais ? Bien sûr que oui. Mais tu préfères croire que non. Aucun questionnement derrière cette négation. Une simple absurdité. Tu ne te débarrasses de rien, c’est tout. Seulement tu n’as aucune affection envers ce que tu conserves. Même, une sorte d’aversion. 

Tu ne te relis pas. Tu ne relies rien.

Ce que tu conserves n’est pas le souvenir de ce que tu as écrit, mais le souvenir pénétrant de ce que tu n’as pas écrit. Durant ce temps-là. Le livre derrière le livre. L’autre histoire. Dans cet espace-là. Ta chambre d’écriture. Logis de ta folie – douce. S’asseoir dans ce lieu et écrire, ça ne marche pas comme ça. Ton démon détourne souvent ton regard vers les blancs de tes anciens textes. Il ne s’agit pas tant de commencer que de poursuivre, il te dit. Maudit soit-il de toujours te renvoyer à la cime de ton être ! Il le sait, tu y respires à peine. Il n’en a cure. Il dit comme ça : Tu vas y arriver. Il dit : Ne t’encombre pas trop. Mais ça, c’est une plaisanterie. Il dit : Tu te blottiras, à la nuit, dans la panse encore chaude de l’animal tout juste éventré par tes soins. Tu émettras, au jour, des grognements comme l’animal. Il dit : Des signes noirs envahiront ton esprit. S’aligneront à l’horizontal. Au sens littéral : en direction de l’horizon. Parlant, il tend son index déformé de vieillard devant lui. Il sait que tu sais qu’il ne t’indique pas la bonne direction. Pas plus que la mauvaise. 

Échanges

I
Quelquefois, c’est étrange, tu écris sans penser. Ou plutôt, tu penses sans y penser et l’écriture te semble automatique, car tu ne gardes pas trace des moments où la matière réflective dont tu te sers alors s’est formée en toi. Aussi, tu ne crois pas que les pensées se fixent dans la mémoire, à cause de ton incapacité à faire remonter l’une d’elles à la surface sous sa forme originelle. Possible qu’elles passent par la mémoire, où elles se frottent à ton expérience, possible également qu’elles y laissent quelques scories. De celles dont tu te serviras inconsciemment pour rebâtir tes souvenirs ? Quoi qu’il en soit, tu doutes que l’écriture puisse être automatique. Peut-être que cette sensation est due au fait que l’histoire se construit très en amont du travail de l’écrit, dans une partie de toi trop lointaine pour que tu en soupçonnes l’activité. Tu ne peux donc pas dire que le texte se trouve entièrement là, derrière ton crâne, et qu’il te reste plus qu’à t’asseoir pour le consigner. Tu pars de presque rien. Une simple phrase qui te vient « comme ça » et qui prend le dessus sur toutes celles qui te traversent. Souvent la première du premier chapitre. Celle qui sonne l’heure de l’écriture. La phrase s’impose à toi et tourne des jours, des semaines dans ton esprit. Durant ce temps du rabâchage, l’aire utile à l’histoire se calcule. Un espace sans oxygène, car nul ne va y respirer, surtout pas toi. Un espace blanc, qui se superpose à l’espace réel. Les pensées concordantes au roman s’aimantent à la phrase, agrandissant l’espace autour d’elles. Ces pensées, tu les as oubliées depuis longtemps, elles ne sont plus telles que tu les as pensées. À présent, denses, ramifiées, organisées. Prêtes à être incarnées. Imparfaitement incarnées, car dans l’entreprise romanesque, tu fais seulement ta part. Cependant que durant tes lectures, tu prends ta part. Même lorsque les textes sont abstrus et dépassent ta compréhension, tu prends tout de même ta part.

II
La littérature permet les échanges entre un corps et un autre. Un esprit et un autre. Selon toi, ces échanges perdurent grâce à l’incomplétude de l’art d’écrire et de l’art de lire. Un livre serait donc fait d’un matériau plus blanc que noir. Matériau de transformation et d’accroissement de la pensée.

En l’absence de ma muse, m’amuse.

Là-haut, les personnages dorment paisiblement jusqu’à ce qu’un bruit les réveille. Chacun se rassure comme il peut. C’est peut-être qu’une synapse électrique ou le chat qui se promène. Mais non, le personnage de chat dort sur le lit d’un personnage d’enfant. Finalement, un personnage de pompiste (?) reconnaît l’intrus. On se calme, les mecs ! il fait, c’est seulement la patronne qui pense à voix haute. Elle ne vient pas pour nous, dit un autre, elle est en panne. Pas le moindre sujet de bouquin. Un autre rajoute : C’est pas ici qu’elle va le trouver. Ils rient tous de bon cœur et chacun y va de sa petite phrase : Les sujets, c’est pourtant pas ça qui manque… Moi, t’façon, j’ai aucune envie de bosser… Finir au pilon, merci bien !… 
À la faveur d’un intervalle silencieux, un personnage de jeune femme dit : Moi, j’ai de la peine pour elle. Les autres, d’une seule voix : Qui a dit ça ? Je l’ai dit, répond celle qui a parlé. Évidemment ! font certains, je, je je ! il faut toujours que je se fasse remarquer. Un personnage de femme quinquagénaire, qui jusque-là s’était tu, dit d’une voix dépassant toutes les autres : Elle ment ! je, c’est moi. Pourquoi qu’ça serait pas moi ? lance un personnage de chien à qui on n’a rien demandé. Parce que tu es un personnage secondaire, bourrique ! répond quelqu’un. Tah tah ! Dans Tombouctou, j’étais le personnage principal, s’enorgueillit l’animal. Des questions fusent immédiatement dans sa direction : Tu t’appelles Mr Bones ? T’es américain ? Tu connais un type qui s’appelle Willy ? Tu crèches à Brooklyn ? T’es le toutou de Paul ? Oui ? Non ? Non ? Alors ferme ta gueule. 
Je, c’est moi, répète le personnage de femme quinquagénaire sur un ton assuré et ferme. Il n’y a qu’à me regarder pour en être convaincu. Tous les personnages viennent lui tourner autour pour l’observer de près. C’est vrai qu’il y a quelque chose… Un air de ressemblance avec la patronne… N’écoutez pas les délires de cette vieille folle ! dit le personnage de jeune femme. Je, c’est moi, ça l’a toujours été. Un personnage d’étudiant en première année de littérature générale et comparée s’interpose. L’une de vous deux devrait partir, il propose. Un silence, puis il reprend : Deux je dans une même pièce, ça crée un paradoxe, et les paradoxes, c’est jamais bon. Le personnage de femme quinquagénaire saisit l’occasion : Tu entends le lettré, la morveuse ? Alors zou ! casse-toi de mon hémisphère droit. Plutôt crever ! lui répond le personnage de la jeune femme. 
Comme tu voudras, dit le personnage le plus âgé des deux d’une voix calme. Après quoi, il tend le bras, met en joue le personnage de la jeune femme, avec sa main en pistolet comme le font les enfants et tire en faisant : Pan, pan ! Les deux personnages s’écroulent dans un mouvement similaire. Tout le monde applaudit à cette scène parfaitement synchronisée. Les minutes passent et les deux je restent à terre. Les personnages commencent à s’inquiéter. L’un d’eux va finalement examiner les corps. Il les secoue, place sa main près de leurs bouches, puis son oreille près de leurs cœurs. S’en est fini de l’autofiction, il dit en se relevant. Nan ?! lancent les personnages à l’unisson. Si, il répond, pas la moindre inspiration. Les je sont faits.


En écriture

J'y suis entrée seule
Quand le jour se levait
Premier jour de l'hiver
Accolé au cadavre
Du dernier jour d'automne
Qui avaient ses endeuillés

J'y suis entrée debout
En marchant crânement
Bien que morte de peur
Devant moi terre et ciel
Dans un corps concentrés
Sur lequel se trouvaient
Perles céruléennes
Qui firent ma Richesse
Nuages que je caressais
Non seulement du regard
Mais aussi de la paume
Jardin où je semais l'ortie
Pour que le papillon fleurisse

J'y suis entrée mélancolique
Solitaire par naissance
Tombée du firmament
Comme tombe la poussière
D'étoiles innommées
Comme cela est juste
Me disais-je alors
D'être ainsi oubliée
Comme c'est naturel
Qu'aucun son usiné
Ne puisse m'appeler

J'y suis entrée indélicate
Tel l'animal sauvage
Dans un champ cultivé
Sans vouloir faire mal
Sans intention de nuire
Bien sûr que j'ai nui
Bien sûr que j'ai fait mal

J'y suis entrée jeune
Mais il faut être vieux
Pour que ce temps chagrine
Et si je l'ai été
Je ne m'en souviens pas

J'y suis entrée nue
Ignorant que je l'étais
J'y demeure ainsi
À présent que je sais

Ecrire

La seule pensée juste
Qui me viendra jamais
Sera par moi ignorée

Puisqu’il ne m’est pas donné de voir
Ce que je pense
Puisque je peux souffrir
Sans douleur au point de souffrance
Mon temps se passe
À écrire
Entendez
Qu’il attend ce qui est déjà là

Attraction de l’éphémère

Ce sentiment de solitude profonde
Qui nous frappe parfois
Semble nous préparer
À cette heure intime
Dans laquelle personne
Ne saurait nous suivre
Et pourtant non
Ce n’est pas ce qu’il fait
Il tente à sa manière
De nous en éloigner

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑