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Le chien

©Rosa Bonheur
tu voudrais savoir
que tu ne sauras jamais
rien
tu voudrais en être sûre
rien du temps de l’amour
tu aimerais aimer
sans connaître la part
que va te ravir le temps
ne pas voir
ne pas entendre
sa façon brutale
de te la prendre

tu voudrais que ça dure
mais bien sûr
ce désir
c’est le temps qui le tient
entre ses canines

déjà tu vois
tu sais
ta façon brutale
pour le lui reprendre



Rosa Bonheur "Barbaro après la chasse",  1858, huile sur toile  © Philadelphia Museum of Art.

Dédale poémique

©Anna-Eva Bergman
une chambre avec vue
sur la mer

on dit
c’est l’hiver
l’eau est noire
sauf autour
de la presqu’île
où elle se dentelle
de blanc
par la fenêtre close
on aperçoit
ce cercle onduler
à la surface de l’eau

de notre point de vue
on n’en distingue
ni le début ni la fin
alors on dit
c’est le labyrinthe
amoureux


©Anna-Eva Bergman, N°49-1973 Vague Baroque, 1973, acrylique, pâte à modeler et feuille de métal sur toile. 

Déambulation dans la capitale du poème

©Birgit Jürgenssen
soudain tu étouffes
tu te lèves ouvrir la fenêtre
toutes ces vies circulantes
il te faut les entendre
aussi que le chant des oiseaux
tapissent les murs unis
de ta chambre d’écriture

tu t’assois
tu écris
dans cet amour-là
le cœur n’est pas le centre
le centre c’est le ventre

tu écris
elle marche dans la ville
se dirige vers
la tourne du poème

tu écris
le centre c’est le ventre
s’affame et se nourrit
s’affame de nouveau
et encore
et encore

le cœur 
un peu rébarbatif
sauf quand il s’affole 
alors là oui
c’est la place de l’Étoile

tu écris
je me rends
en vers et contre tous
à la tourne du poème
le lieu du rendez-vous


Birgit Jürgenssen, "Ohne Titel" (Naturgeschichte), 1975, rayogramme. © Estate Birgit Jürgenssen, Vienne.

Par (nos) chemins

©Camilla Adami
une
toujours nue
désire pour elle seule
une autre nudité
qui couvrirait la sienne
une
désire pour elle seule
la chaleur
d’une autre nudité
qui aussi veut le chaud
d’avoir connu le froid
d’avoir connu les yeux
transperçant les tissus
de quels tissus je parle ?
je parle de la peau

en dehors de la peau
ce qui couvre le corps
est tissu de mensonges


Camilla Adami, "Nudo", 1985, 1986, crayon sur papier.  © Camilla Adami

Écrire au blanc

©Kiki Smith
quand les sentiments occupent
toute la surface de la peau
tout ce qui se trouve derrière la peau
écrire est impossible

cependant quelque chose s’écrit
quelque chose peut se lire
à même la paroi du temps
et de l’air
qu’effleurent les émotions

les mots justes 
d’avant l’invention de l’écriture
et de leur ravissement à notre vue



©Kiki Smith,"Lying with a wolf", 2001, Encre et mine graphite sur papiers découpés et collés sur papier Népal. ©Centre Pompidou

Bel asile

©Alexis Hunter
oui ma tristesse
pour cette histoire
la dernière
au vrai la première
la seule
la plus grande
la plus admirable de toutes

je sais tant de moi
je veux tant pour toi
mon bel asile
à cette heure
presque
la dernière
qui devra porter tant de délices
comme si de rien n’était
comme si la fatigue
n’avait jamais fracturé
nos os et notre cœur


 ©Alexis Hunter, Women in the Moon, 1983, lithographie. ©Richard Saltoun Gallery. 

Dans les vrais poèmes les mots portent leurs choses*

©Laure Albin-Guillot
il faut avoir de vraies mains pour caresser un corps
pour qu’il jouisse des caresses
et se sache aimé
pour que l’être ainsi chéri se situe dans le cosmos
à sa place juste 
qu’il reconnaisse tout 
qu’il sache dire le nom de toutes les choses
même celles qu’il voit pour la première fois
celles pas encore venues

il faut avoir de vrais mots 
après les taire si on veut
peut-être les oublier
peut-être les écrire

moi longtemps mes mains étaient de fausses mains
et mes mots des pitons que je plantais dans la roche
à l’insu de ceux qui m’imaginaient grimper à la force des bras

la force de mes bras mon dieu
la force de mes bras

me voyant chuter
vite je rebaptisais ma chute
avec les mots tendus
par cette force forcée

il faut avoir de vraies mains pour caresser un corps 
et qu’il se sache aimé 
il faut avoir un vrai corps et qu’il porte ses choses 



*Titre extrait du poème "La guerre sainte" de René Daumal
Photographie Laure Albin-Guillot, Etude de Nu, vers 1925, épreuve à la gélatine argentique.  ©Musée des Beaux-Arts du Canada.

Le souffle court

©Germaine Krull
j’ai la certitude que là-bas c’est ici
que la distance est 
amoindrie par ton pied qui foule le passé
j’ai la certitude que l’empreinte de tes pas laissée sur le chemin
est comme présent sous toutes ses définitions

de mon bord je sens bondir ton existence
celle-là parmi toutes les autres
le monde que je recalcule à l’ère de ta danse

j’entends par les lèvres de ton effort 
s’échapper toutes les sortes de cris 
toutes les sortes d’écritures
et de souffles
même ceux solitaires 
qui pourraient être miens
ils ne se perdent pas dans la solitude
mais vont comme un regain d’oxygène
faciliter ta lutte
nourrir tes muscles endoloris

ta course fait aller la terre plus vite
vers moi qui ne me montre pas
en corps

j’ai la certitude que tu reviendras à l’aube
la même aube que lorsque tu es partie

celle-là n’aura rien cédé au spleen 
qui a la sale manie d'engrisailler le jour



Photographie Germaine Krull, Nu féminin, 1928, tirage gélatino-argentique. Centre Pompidou. © Estate Germaine Krull/ Museum Folkwang.

Tu es l’Impromptue (et l’impromptu, c’est absolument tout)

©Maria Jarema
un mouvement de danse
improvisé

une joie qui résiste au monde
recouvrant toute ta peau de femme
comme une robe d’été
portée en toutes saisons
parce que la neige la pluie
qu’est-ce que c’est 
Qu’est-ce que ça fait

ça s’évapore de toi en une brume caressante
que crée ta propre chaleur 

la brume 
qu’est-ce que c’est 
un voile aérien qui t’a permis d’arriver jusqu’ici
les mains et la tête vides de tout crime
la tête pleine de ce que l'on a pas voulu t’apprendre
les mains pleines de ce que l’on a cru te voler

tu as tout appris
tu as tout repris
et même tu as fait plus

tu as pris 
tu prends encore
tout ce qui se trouve entre
les fables
et les balles
en un mouvement de danse 
improvisé par l’amour
et par lui seul


Sculpture ©Maria Jarema, Dance, 1955, laiton. The National Museum, Cracovie. 

Chant XIV

Une histoire de traces. Comme dans une forêt blanche.
L’immaculé du temps et tout le bleu de l’ombre au beau milieu du jour.*

tu es partie

à chacun de tes pas réflectifs
la matière-miroir de ta peau
a imprimé en toi part de toute chose
gestes animalesques de tout être

course
nage
vol
mouvements disant mieux que paroles
ça tu l’aurais juré
l’involontaire suicide
closant tes amours saccagées

tu es restée

la matière-miroir de ta peau a masqué ton visage
avec figures anciennes 
et figures de passage
aimantes ou non
tu n’as pas su le dire

tu n’as pas su aller

le temps ?
il t’a aimée
il t’a aimée
et puis tu l’as déçu


*Caroline Dufour

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