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Les herbes hautes

Je te dis à toi qui annonce le jour qui vient
N'écarte pas tant les rideaux
Ne regarde pas tant dehors
La nature est là sur les draps
Comme un champ d'herbes hautes
Impropre à nourrir les bêtes de somme
Et vibrant d'insectes car parsemé de fleurs
Qu'ailleurs on coupe
Comme on coupe le soir la lumière dans les favelas
Parce que c'est trop de voir
La misère briller
Et même sur les flancs d'une colline de boue
Je te dis à toi qui annonce le jour qui vient
Garde la nuit en toi autant que tu le peux
Comble serrures orbites et fissures
Pour faire le noir
Et dehors jette en pluie cette cendre
– Qui est la fin de toute chose
Ou le commencement ou rien –
Pour faire la saison

Tout un monde

Ce temps fini
Qu'a t-il de plus
Que ce jour où je suis
Pour être ainsi chéri
Sans mesure
Et sans raison parfois
Est-ce ce que je lui donne
Mais je ne lui donne rien
Ici et maintenant
Je prends tout
Je perds tout
Je me gave d'ennui s'il le faut
Je me gave d'amour
Je ne lui cède rien
Mais du peu qui m'échappe
Il se fait tout un monde
Là juste derrière moi
Et même en plein soleil
Sa grande maison s'éclaire
Toutes les pièces peuplées
Comme lors d'une fête
Ou lors de funérailles
Y célèbre-t-on l'inachevé
Y pleure-t-on l'accompli
Je n'en sais rien
L'un et l'autre loués
Comme une seule idole
Quand le présent s'amollit

Une chimère

Dans le jour à peine levé
Quand l'oiseau diurne
Picore les miettes du cri
De la chouette-effraie

Dans le jour à peine couché
Quand la corde d'horizon
Ondule entre ciel et lointain

Dans le lieu qui passe
Dans le temps qui reste
L'impossible constance de l'être

Manifesto

Nous changeons
Dans la vague voyons
Autre chose que l'écume l'eau
Et les coquillages évidés
Par becs ongles ou lames
Nous changeons
N 'aimons La Terre
Qu’éveillées
Ses océans
Qu'endormies
Nous changeons
Marchons pour prendre
De la distance
Oui mais pour aller où
Nous l'ignorons encore
Certaines effrontées :
On saura quand on le verra
Pour elles qui sont nos yeux
nous ne cessons de marcher
Qui pour nous l'interdire
Personne d'assez semblable
Aux occupants de nos rêves
Personne d'assez adroit
Pour séparer l'eau de l'écume
L'écume du mouvement
Le mouvement de la lame
Ah nos pieds coupés
Par les marches interrogatives
Où est-ce
Mais où est-ce donc
Et comment cela s'appelle-t-il
Astre Corps Continent
Certaines effrontées :
On saura quand on le verra
Nous changeons
Sous le sable enfouissons
Les mots évidés
Par becs ongles ou lames
Nous changeons
Dans la vague voyons
Le mécanisme du cosmos
Certaines effrontées :
Silence ! ça tourne

Dès lors débutant

Songe à cet amour
Débutant par sa fin
Que nous avons vécu
Nous l'avons détesté
Lui et lui seul
Jamais nous
Jamais toi et moi
Lui et lui seul
Oh nous ne haïssons plus
Ce qu'il a fait de nous
Il n'a rien fait
Nous le savons
Nous le savons enfin
Presque trop tard
Pourrions-nous dire
Si le temps avait sa place ici
Mais il ne l'a pas
Il ne l'a jamais eu
Seulement toi et moi
Seulement cet amour
Allant de mort en vie
Chaque jour un peu plus

La dérobe

Un jour se lèvera
Plus contemplé qu'un autre
Par mes yeux éblouis
De lumière et de sons
Qui fixeront la route
Emprunté par l'oiseau
Autrefois par l'amour
Pour venir jusqu'à moi

Dans ce clair admirable
L'amour présagera
L'annonce de sa fin
Et déployant des ailes formées
Par mon propre tourment
S'élancera vers l'aube
Sans regrets que je fus
Objet de son voyage

L'amour venu à moi
Dans l'unique dessein
Que j'en fasse un voleur

Chambre solaire

Je repense à ces heures
Toutes données à l'ennui
Qui en ignore la valeur
Je les disais perdues
Pour ne pas m'avouer
Que c'est moi qui étais
Incongrûment perdue
Dans une pièce fermée

Aucune pièce n'est close
Quand une âme est dedans
Ah oui mais l'âme honnêtement
Que sait-elle de sa liberté
La veut-elle vraiment
La veut-elle tout le temps

Et l'ennui de durer
Tant que dure le dilemme
L'ennui qui sait ma crainte
De dire sa vraie nature
Désir de ne rien faire
Sans rien perdre du tout

Chant d’armes

Arrêtons de nous battre
Soyons douces et dociles

Pour nos corps déportés
Prônons plutôt l'adieu
Et non pas le retour
Arrêtons de vouloir
Arrêtons de penser
Cousons des genouillères
Aux jambes de nos filles
De nos jeunes garçons
Et à nos propres jambes
Arrêtons d'espérer
Rampons comme la larve
Qui commet notre viol
Rampons sur cette terre
Où l'arbre seul est droit

Arrêtons de nous battre
Soyons douces et dociles

Ne pleurons pas nos corps
Disparus vivants
Continuons d'être mortes
Continuons de sourire
De peindre nos frayeurs
Avec des couleurs vives
Cachons notre sang
Nos rides
Notre graisse
Laissons à portée
Nos seins
Et notre fente

Arrêtons d'espérer
Qu'un jour nous serons
Aimons ce qu'on nous sert
Et ne rechignons pas
Ah mais vidons la table
De nos restes écœurants

Chaussons les aiguilles
Qui freinent notre course
Et empêchent la fuite

N'ayons jamais de mains
Mais toujours des menottes

Arrêtons de nous battre
Soyons douces et dociles

Enfantons de la chair
À pénis de larves
Sans songer nous en plaindre
À l'homme qui n'est pas larve
Car il la craint aussi
Peut-être plus que nous

Veillons à ne pas prendre
le nom du père
Et du fils
Et de la sainte mère
Comme nom de putain

Gardons-nous d'être aimées
Par un homme ou une femme
D'un véritable amour

Soyons comme on nous fait
Soyons comme on nous veut

Perpétuons l'affreux sort
De nos sœurs qui ont souffert
Sans avoir vécu

Lettre de la jeune fille pendue

Jeunes nous avons tant d'ennemis
Et nous marchons vers eux
Que faire d'autre
Mais sans hargne sans armes
En traînant le maigre passé derrière nous
Comme un chien malade
Que personne n'a le cœur d'abattre
À cause de son regard
Et d' un rêve qu'on fait tous
Pauvre chien que l'on martyrise
En voulant l'épargner
Avance je t'en prie avance
La vie plus forte que tout
Jeunes on le pense
Mais non Mais non
Quand enfin nous trouvons
Le courage d'achever la bête
Il est trop tard
Elle est déjà morte
Nous la tuons quand même
Que faire d'autre
Une deuxième fois
Et encore et encore
Et la guerre attendue
Qui ne vient pas
Et les yeux morts du maigre passé
Qui finiront par nous hanter
Jeunes nous apprenons
Trop tard
Que la jeunesse
N'est pas un temps donné
Qu'aucun temps ne se donne
À personne
Et jamais


Toile de Marie Laurencin  Femmes au chien 1924 -1925
Paris, musée de l'Orangerie ©

L’éclosion perpétuelle du présent

Ce qui part
Ce qui disparaît
C'est peut-être encore là
Peut-être que c'est moi
Qui ne le vois plus
Moi qui suis partie
Qui ai disparu
Ou peut-être qu'une saison existe
Où l'on moissonne les champs de visions
Je le sais pour l'avoir vécu
Ce qui part
Rend l'invisible visible
L'incertain certain
Aussi qu'est-ce qui disparaît
Oui   L'insolence de croire
Que mourir est pour demain
Et demain pour jamais

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