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Tout est vol

© Gabrielle Segal
pâle veinée de rouge d’ocre
et sa forme de cœur usé
par les amours divinement gâchées
cette pierre
comme tombée de moi sur le sable noir
de l’estran
je ne la ramasse pas


tout à coup
il n’y a en moi
plus rien qui fait cendre

le mortel est vécu

c’est ainsi
tout se passe à côté


tout est oiseau



Illustration du texte Gabrielle Segal, "19 mai 2023 19h47 ", photo. © Gabrielle Segal.

D’amarante

©Juana Francés
certaines aurores 
regardent le temps
comme soldat l’ennemi

elles se défont de lui
gagnent sur tout le jour
et parfois sur la nuit

de ces aurores
— passées d’une langue à l’autre
comme un fruit rouge —
la poésie
une tache amarante ténue


Illustration du texte, Juana Francés, "La Aurora", 1960, acrylique et terre sur toile, ©Galeria Mayoral

Levamentum

© Gabrielle Segal
ce que nous devenons
après avoir guéri du mal de l’autre
et l’autre s’il vous plaît de notre mal
ce que nous devenons est comme de naître enfin
de voir enfin
d’être enfin


écrire ne se peut presque plus



ce qui s’écrit est pris dorénavant
au temps de ce qui est
de ce qui se regarde

ce si beau visage

ce que nous devenons
est comme nous appartenant


quelque chose nous dit
que nous nous savons
et que nos pas nous portent
vers la consolation

écrire ne se veut presque plus




Illustration du texte Gabrielle Segal, " 30 avril 2023 15h16 ", photo. © Gabrielle Segal.

Bleu de demeure

le temps qui  reste est  enfin le temps qui va rester


regarde

la lumière dans la pièce
naissant des courbes et des creux
la peau de la saison
recouverte de bleu Klein 


entends

les mots que vous vous dites
insonores et liquides
lents 

étreins

Les peurs devenues  aussi chaudes
que le pelage de la féline
et qui  se laissent tomber
à sa façon dolente
contre le ventre de l’aimée


ne compte plus

c’est enfin là de vivre cette jeunesse 
autrement que jeunes

Les pieds rouges

©Emmy Bridgewater
Il me faudrait mon cœur partager ton savoir
et je ne le peux pas car tu n’en as aucun
tu es tout comme fleuve qui ne sait d’où il vient 
et pas plus où il va


il me faudrait mon cœur
te presser dans ma paume 
te vider de ton temps
et je ne le peux pas
car ton temps est perdu


il me faudrait mon cœur
et je ne le peux pas



Illustration du texte Emmy Bridgewater "Sans titre",vers 1942, aquarelle, © The Mayor Gallery, Londres

Silentium

©Liselotte Grschebina
tu voudrais lui dire
mais le vrai ne s’écrit pas
le cœur ne s’ouvre pas
il ne s’ouvre que mort
sinon quelque chose ment
quelque chose comme l’espoir
et sa crainte éternelle que l’œil prenne trop de place
tu voudrais lui dire
l’espoir tu n’en veux pas
c’est beaucoup trop 
pour ce que nous sommes
surtout ça n’est pas assez là
ça n’est pas assez chaud
pas assez froid
ça n’est pas vrai
ça n’est pas vrai
tu veux savoir que vous allez mourir
et l’amour avant peut-être
tu veux que ces pensées  te viennent
au moment où l’averse te cingle
juste avant le banc de pierre
le répit du rayon de soleil 
tu veux que ça te vienne 
et que ça ne te laisse 
ni ne te prenne rien


Illustration du texte : Liselotte Grschebina, "Turnerin",1930, tirage gélatino-argentique © Le Musée d’Israël, Jérusalem

Femme se portant

© Angèle Etoundi Essamba
l’écriture est restée dans son lieu d’écriture
ce n’est pas s’en priver
ce n’est pas fuir



on ne dit jamais la force que l’on perd
jamais qu’on la regrette
jamais qu’on l’a vue là sur le même lit que le lit
toujours forte mais à côté
on ne dit pas que c’est nous qui rompons avec elle
on dit La force me quitte
on dit qu’elles sont plusieurs
et que toutes nous quittent
une seule demeure
celle-là est force qui se force
on le sait
nous qui marchons moins vite
qui pleurons plus souvent
celle-là prend tout sur elle
elle prend tout ce qui reste 
le mène non pas devant
mais au loin sûrement
et loin c’est effrayant
c’est ici sans la chaleur
c’est ici sans la joie
sans la main qui se pose 
sur la peau de l’autre
ignorant qu’elle se pose
sur une dernière fois

après 
après tout bouge encore 
ce qui est mort
ne reste jamais dehors



Illustration du texte  : Angèle Etoundi Essamba, "Femme portant l’univers", 1993, photographie, © Angèle Etoundi Essamba

Loire terminale

©Gabrielle Segal
un fleuve il faut le prendre
avant la profondeur
là où pas une étrave
ne vient blesser son eau
où l’eau se pense seule
faiseuse de courants
où l’impression céleste
sur sa surface lisse
lui fait croire à l’abysse
et cela lui suffit
cela suffit toujours
sentir que ça va
tout en ne bougeant pas
sentir que ça va bien
quelque part



Photo Gabrielle Segal "L'oiseau", Nantes, 24 décembre 2022, 16h26. ©Gabrielle Segal

Les impassantes

©Béatrice Casadesus
Une nuit comme celle-là
sortie de la grande solitude
ça pourrait être le jour
on ne le verrait pas
on ne le voudrait pas
ça pourrait être assez
tant elle sait tout de tout
tant elle sait ne rien faire 
de ce qui doit se faire
tant elle fait autrement
de ce qu’on fait à la hâte
la faute au temps qui passe 
mais nous seuls passons


le temps là dans cette nuit caressante
donne à entendre l’écoulement 
de ses minutes écoulées


c’est fini de croire en la clôture de toute chose
en la main seule et sèche



Béatrice Casadesus, "Nuit d’or," 2015, acrylique sur toile de lin, 200 x 420 cm, ©Béatrice Casadesus

Peau de sable

© Gabrielle Segal
ce n'est plus de la pluie
ce n'est plus du vent
il y a une peau entre
la pluie et le vent 

avant elle
je ne pouvais rien contre tout
ce qui me poussait dans le dos

je peux rester sur l'île 
je peux rester
je peux la traverser
la quitter pour la voir de loin
la voir mieux
l'entendre m'attendre 
la vouloir qui me prend
toute entière 
la vouloir qui me jette
sur la terre fermée
et me laisse jalouse
de ceux-là qui la traversent 
ignorant qu'elle est lèvres et langue
ignorant qu'elle me rapporte 
sans discontinuer 
les mots qui dévalent sur elle
des contre-hauts 
comme pluie poussée par un vent lent
les mots lents
désirés comme pépite dans une batée
puis rejetés à  la Loire
pour que la joie vienne encore
et que la fin perde de sa superbe
reste ce qui doit rester
ce qui part et demeure
dans un même mouvement 


Photo Gabrielle Segal "Nantes, novembre 2022" ©Gabrielle Segal

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