©Benita Koch-Otte
le corps musculeux du silence
encombre ta chambre d’écriture
il va et vient lourdement
dirige l’air dès la sortie de ta bouche
vers le bas
ou vers l’extérieur
il est bavard
tellement bavard
que tu ne peux rien écrire
de quoi te menace-t-il ?
toutes ses menaces n’ont-elles pas déjà été exécutées ?
il parle et tu te tais
ta table d’écriture est froide sous ta paume
tu n’aimes pas sa matière
souvent tu te bats contre elle
et contre les reflets brutaux qu’elle te renvoie
aujourd’hui elle se fait peau
elle possède un nom
ça te fait peur
tu essaies de le dire
à voix basse
le nom
à voix très basse
un ton au-dessous de celui du silence
au-dessous de celui de toutes choses présentes ici
toutes inanimées
toutes gardiennes de ton désir d’effacement
désir qui a usurpé ce titre
en te ravissant tes désirs véritables
lors d’un seul jour répété
comme un coup qui se donne toujours à la même heure
l’effacement ce n’est qu’un ersatz de suicide
en vrai un colossal acharnement
pas à survivre non !
mais à vivre
tu le dis à voix basse
le nom
et même sans voix
comme lorsque tu écris
tu l’enfermes dans le pli d’une chair en germination
tu prends soin de ne pas le noyer dans ta salive
au grand dam de ta langue
tu as peur ah ça oui
tellement peur que rien de ce qui t’entoure ne t’est plus familier
tes yeux ne te montrent que de l’inédit
même parmi les choses anciennes
l’usure t’apparaît disons artistique
porteuse de réponses
c’est-à-dire de nouvelles questions
et tu ne veux pas les savoir
les voir là suffit
comme un jour qui se lève
suffit à ce qu’on se déclare vivant
une fois sur deux c’est faux
comme ce jour qui se lève
asperge d’éclats solaires ta table d’écriture
tu en déposes un dans la paume de ta main
pour relier les distances
entre ton obscurité et l’obscurité
l’éclat te blesse
(il est encore trop tôt pour que tu penses sans dégât)
il te blesse
en séparant tes deux lèvres jointes
Et me voilà devant ma main
ouverte vers le soleil
encore une fois devant
mon corps vivant
qui ne demande que ça –
tout de moi.*
*Caroline Dufour
Illustration Benita Koch-Otte, "La lune, la lune, comme les vagues, se refroidit comme les vagues creusent dans les crinières sombres de la nuit", 1920-1925, mine de plomb. © Photo Archives Bauhaus, Musée du Design, Berlin.
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La poésie écoute trop bien le corps et l’esprit. Ensuit, elle cafte à sa façon.
Merci Laurence. Bonne journée.
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