Échanges

I
Quelquefois, c’est étrange, tu écris sans penser. Ou plutôt, tu penses sans y penser et l’écriture te semble automatique, car tu ne gardes pas trace des moments où la matière réflective dont tu te sers alors s’est formée en toi. Aussi, tu ne crois pas que les pensées se fixent dans la mémoire, à cause de ton incapacité à faire remonter l’une d’elles à la surface sous sa forme originelle. Possible qu’elles passent par la mémoire, où elles se frottent à ton expérience, possible également qu’elles y laissent quelques scories. De celles dont tu te serviras inconsciemment pour rebâtir tes souvenirs ? Quoi qu’il en soit, tu doutes que l’écriture puisse être automatique. Peut-être que cette sensation est due au fait que l’histoire se construit très en amont du travail de l’écrit, dans une partie de toi trop lointaine pour que tu en soupçonnes l’activité. Tu ne peux donc pas dire que le texte se trouve entièrement là, derrière ton crâne, et qu’il te reste plus qu’à t’asseoir pour le consigner. Tu pars de presque rien. Une simple phrase qui te vient « comme ça » et qui prend le dessus sur toutes celles qui te traversent. Souvent la première du premier chapitre. Celle qui sonne l’heure de l’écriture. La phrase s’impose à toi et tourne des jours, des semaines dans ton esprit. Durant ce temps du rabâchage, l’aire utile à l’histoire se calcule. Un espace sans oxygène, car nul ne va y respirer, surtout pas toi. Un espace blanc, qui se superpose à l’espace réel. Les pensées concordantes au roman s’aimantent à la phrase, agrandissant l’espace autour d’elles. Ces pensées, tu les as oubliées depuis longtemps, elles ne sont plus telles que tu les as pensées. À présent, denses, ramifiées, organisées. Prêtes à être incarnées. Imparfaitement incarnées, car dans l’entreprise romanesque, tu fais seulement ta part. Cependant que durant tes lectures, tu prends ta part. Même lorsque les textes sont abstrus et dépassent ta compréhension, tu prends tout de même ta part.

II
La littérature permet les échanges entre un corps et un autre. Un esprit et un autre. Selon toi, ces échanges perdurent grâce à l’incomplétude de l’art d’écrire et de l’art de lire. Un livre serait donc fait d’un matériau plus blanc que noir. Matériau de transformation et d’accroissement de la pensée.

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