Demeurer ignorant

I
L’écriture est, entre autres choses, une tentative de réparation du réel. Tu n’as pas dit ça, d’autres l’ont fait avant toi. Cependant, tu te poses la question : Pourquoi le réel semble-t-il toujours aussi « invivable » ? Ou difficilement vivable, ou inacceptable ? Écrivant, tu cherches à retrouver certaines de ses dimensions. Car il t’apparaît que les formes pleines, les contours déchirés du réel sont sans cesse aplanis, puis nivelés par les outils massifs de la communication. Aplanissement qui te donne l’illusion d’un savoir instantané. L’illusion de « voir loin ». Et parce que le monde dépourvu de ses distances culturelles, historiques… est effrayant, tu te claquemures. À l’intérieur même de tes illusions. Et parce que la communication maintient la parole à un niveau inférieur de ses capacités et de ses pouvoirs véritables, il te faut lutter pour demeurer ignorante. Cette ignorance primordiale à l’écriture, qui n’est autre que quête d’un savoir, une montagne parmi d’autres.

II
Il t’arrive de plus en plus souvent de craindre de ne plus penser par toi-même. De craindre que ta pensée soit le fruit sans noyau germinatif des arborescences virtuelles dans lesquelles quelques-unes de tes racines se seraient prises. Tu te surprends à surveiller tes sentiments au moment où tu écris. Ne serais-tu pas en train d’écrire afin qu’on t’aime ? Afin qu’on te voie ? Ce on, indéfini, désincarné, tu n’ignores pourtant pas qu’il dévore la chair et abolit le sujet.
Si ton écriture n’était plus que prétexte à un besoin de consolation ? Prétexte pour être consommée et pour consommer à ton tour ? Tu te dis que non. Mais tu n’exclus pas que cela puisse t’arriver, demain ou ce soir, déjà. Tu n’exclus pas que ton écriture disparaisse sans même que tu t’en aperçoives. Sans même que tu cesses d’écrire. 

4 commentaires sur “Demeurer ignorant

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