Il était une fois l’histoire vraie, si l’on y croit, de la fleur noire, d’Alicia Becker-Thomass et du pêcheur d’âmes qu’elle rencontra dans les profondeurs du fleuve Hudson.
Les évènements se déroulèrent comme si tout allait de soi. Comme si tout était écrit depuis longtemps dans un livre poussiéreux reposant sur un rayon de la bibliothèque municipale. Alicia ne se souvenait pas qu’un jour de sa vie fut plus heureux qu’un autre. Elle ne se souvenait que d’un seul jour néfaste qui se répétait à l’envi. Chaque matin, la misère la sortait brutalement d’un sommeil glacé et la poussait hors du tunnel où elle se réfugiait pour dormir. Agrippant Alicia de sa main rêche et brutale, elle l’entraînait vers la lumière des grandes avenues, et là, l’obligeait à mendier quelques pièces aux passants jusqu’au soir.
Tout allait de soi. Tout était écrit.
Le jour de l’Avent, alors que la riche Manhattan festoyait, une pensée nouvelle traversa l’esprit d’Alicia Becker-Thomass. Une pensée aussi furtive qu’une étoile filante. Tout au long du jour, l’astre passa et passa encore devant ses yeux, à chaque fois plus incandescent, à chaque fois plus proche. Une pensée incandescente. La seule qui valait depuis longtemps, depuis toujours. Alicia décida de la suivre.
Mais avant cela, elle entra dans une boutique de l’Upper East Side, pour acheter une fleur, comme elle le faisait chaque premier janvier. N’importe laquelle dit-elle à la vendeuse, du moment qu’elle soit noire et coûte moins de deux dollars. La fleuriste, ne cachant pas sa répulsion envers cette cliente négligée, sortit de sa poubelle de coupe un hellébore oriental noir à demi fané et le lui tendit. Gratuit, lança-t-elle, sous le coup d’un reste d’esprit de Noël.
Au crépuscule, Alicia, serrant dans sa main cette fleur, alla se jeter dans l’Hudson pour suivre la pensée qui lui avait soufflé de le faire. La plus belle pensée de toutes.
Tout allait de soi. Tout était écrit.
Tout juste entendit-elle le bruit de l’eau qui se déchirait, le crépitement de l’astre qui se refroidissait brusquement. La pensée funeste qui s’éteignait.
Atteignant le lit du fleuve, Alicia vit un homme, nonchalamment assis sur la banquette arrière d’une carcasse d’automobile. Elle ne trouva pas la situation incongrue. Que savait-elle de l’au-delà ?
L’au-delà ! Tout de suite les grands mots, lui lança le pêcheur d’âmes qui lisait dans les esprits comme dans un livre ouvert.
Il tapota la banquette pour qu’Alicia vienne y prendre place. Quand on choit, fillette, lui dit-il d’une voix gentiment moqueuse, après qu’elle s’était assise, ça n’est jamais vers le haut ! C’est une question de bon sens. Tu ne crois pas ?
Sans attendre de réponse, il claqua dans ses doigts et l’âme d’Alicia, au fait du signal, quitta ce corps malmené par la vie sans regret et alla rejoindre le sac de cuir que le pêcheur ouvrait grand à son intention. J’espère, dit-elle en s’y engouffrant, être mieux lotie la prochaine fois ! C’est prévu ! lui répondit celui-ci en claquant de nouveau dans les doigts. Car les âmes, ce jour-là, abondaient.
Lorsque l’on remonta le corps sans vie d’Alicia Becker-Thomass sur la rive, un hellébore noir était comme agrippé à sa poitrine. Et, croyez-le ou non, mais ses pétales s’ouvraient et se fermaient au rythme d’un cœur qui bat. Tous le virent, tous se turent.
Tout va de soi. Tout est écrit.
C’est un magnifique récit. Amitiés MTH
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Quelle poésie dans ce récit ! J’en ai les larmes aux yeux.
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Les contes ont cette faculté d’atteindre le coeur.
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Je suis heureuse qu’il ait fait écho en vous.
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J’aime beaucoup ce conte j’entends la rose de Noël s’ouvrir et se fermer , petit métronome faisant du pêcheur d’âmes le musicien de l’au delà
Merci pour cette poétique histoire
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Très belle image, celle de ce musicien de l’au delà. Merci !
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